
Résumé :
Publié pour la première fois en 1907, Le Retour de l’enfant prodigue est une courte nouvelle d’André Gide qui s’inspire librement de la célèbre parabole évangélique tirée de l’Évangile selon saint Luc. Mais, fidèle à sa démarche d’écrivain moraliste anticonformiste, Gide en propose une relecture iconoclaste et humaniste, où la quête de liberté prime sur le pardon et la soumission aux normes sociales et religieuses.
Dans cette réécriture, l’enfant prodigue rentre chez son père après une longue errance. Contrairement à la parabole biblique, où le fils est accueilli avec joie par son père, la version de Gide est marquée par l’ambiguïté et la distance. Le fils est accueilli, certes, mais il est déçu par l’accueil réservé à son retour : son père est figé dans une attente empreinte de formalisme, son frère aîné incarne la rigidité morale et le conformisme, et le foyer familial apparaît étouffant et vidé de sens.
Dans une scène centrale, le fils, loin de se repentir, interroge sa propre quête. Il rejette l’idée d’un retour définitif, préférant repartir à nouveau, cette fois en emmenant avec lui le plus jeune de ses frères. Ce geste symbolise un passage de témoin, une invitation à l’émancipation, à la désobéissance féconde, à l’expérience personnelle comme source de vérité.
Conclusion :
Dans Le Retour de l’enfant prodigue, André Gide détourne la morale traditionnelle au profit d’un appel à la liberté intérieure. Loin de prôner le repentir ou le retour à l’ordre établi, il célèbre l’individu qui choisit de chercher par lui-même, même au prix de la solitude ou de l’incompréhension. Ce court texte, d’apparence simple, illustre l’un des grands thèmes gidéens : la nécessité de se libérer des conventions pour accéder à une vérité personnelle, lucide et exigeante. Ainsi, Gide transforme un récit biblique en manifeste existentiel et littéraire.
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Biographie :
André Gide, né le 22 novembre 1869 à Paris et mort dans la même ville le 19 février 1951, est une figure majeure de la littérature française du XXe siècle. Auteur prolifique, il s’est illustré par la diversité de son œuvre, mêlant roman, journal intime, théâtre, essais et critique. Son style sobre et rigoureux, allié à une quête constante de vérité personnelle, a profondément influencé la littérature moderne. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1947.
Issu d’un milieu protestant strict et bourgeois, Gide grandit dans une atmosphère à la fois intellectuelle et austère. Son éducation rigide le pousse très tôt à s’interroger sur les fondements de la morale, de la religion et du désir. Dès son adolescence, il se tourne vers l’écriture pour exprimer ses doutes et sa sensibilité singulière.
Son premier ouvrage, Les Cahiers d’André Walter (1891), déjà fortement autobiographique, annonce une œuvre marquée par l’introspection et l’analyse psychologique. C’est en 1891 également qu’il rédige le Traité du Narcisse, bref essai en prose poétique publié en 1893 dans La Revue blanche, puis en recueil. Dans ce texte d’inspiration symboliste, Gide s’empare du mythe de Narcisse non pour en faire une figure de vanité, mais pour en explorer la dimension mystique, esthétique et existentielle. Il y développe l’idée que la beauté, en tant que reflet de soi, est un chemin vers la connaissance intérieure. Le Traité du Narcisse témoigne de l’influence de Stéphane Mallarmé et d’un certain néo-platonisme alors en vogue dans les cercles littéraires décadents.
Au fil des décennies, Gide approfondit sa réflexion morale et sociale à travers des romans emblématiques comme L’Immoraliste (1902), La Porte étroite (1909), Les Caves du Vatican (1914) ou encore Les Faux-Monnayeurs (1925), considéré comme le premier roman français pleinement « moderne » par sa construction et sa mise en abyme. Son Journal, tenu pendant plus de 60 ans, est aussi un document littéraire et psychologique majeur du XXe siècle.
André Gide n’a jamais hésité à prendre des positions audacieuses, que ce soit contre le colonialisme (Voyage au Congo, Retour du Tchad) ou face aux dérives du communisme soviétique, qu’il dénonce dans Retour de l’URSS (1936). Ces prises de position, comme son homosexualité assumée, ont fait de lui une figure souvent contestée, mais toujours respectée pour son exigence intellectuelle et morale.
Conclusion :
André Gide fut un écrivain de la vérité personnelle, de la liberté intérieure et du refus du conformisme. Son Traité du Narcisse, bien que court, résume déjà cette quête d’identité et de dépassement de soi qui irrigue toute son œuvre. Par son exigence morale, sa lucidité critique et sa modernité formelle, Gide a ouvert des voies nouvelles à la littérature française et européenne. Il demeure aujourd’hui un auteur fondamental pour qui cherche à comprendre les tensions entre l’individu et la société, entre l’éthique et le désir, entre la beauté et la vérité.
Serge

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