
Résumé :
Publié en 1909, La Porte étroite est un roman épistolaire et introspectif centré sur l’amour impossible entre Jérôme et Alissa, deux cousins liés par une affection profonde et spirituelle. L’histoire, racontée du point de vue de Jérôme via ses souvenirs et les lettres d’Alissa, explore les tensions entre amour terrestre et aspiration spirituelle, entre désir humain et quête morale.
Jérôme est épris d’Alissa depuis leur enfance. Tout semble les destiner l’un à l’autre, et pourtant, Alissa s’éloigne progressivement de cette union espérée. Marquée par le protestantisme austère, par le sacrifice et la volonté de pureté morale, elle choisit de renoncer à l’amour, convaincue qu’un tel bonheur serait égoïste ou impur. Elle veut franchir la « porte étroite » évoquée dans l’Évangile selon saint Matthieu, cette voie difficile qui mène au salut. Alissa se sacrifie donc, non pour Dieu à proprement parler, mais pour une idée élevée d’elle-même, d’une spiritualité sans concessions.
Jérôme, quant à lui, est désemparé face à cette abnégation. Il poursuit ses études, mène une vie honorable, mais reste hanté par cet amour refusé. Il ne comprend pas pleinement les motivations d’Alissa, sinon comme une fuite vers une forme d’idéal inaccessible. Le roman se clôt sur la mort prématurée d’Alissa, qui n’aura jamais cédé ni à l’amour ni à elle-même, laissant derrière elle une douleur sourde et une interrogation morale.
Conclusion :
La Porte étroite est un roman de renoncement, mais aussi de mystère intérieur. André Gide y interroge la logique du sacrifice, l’orgueil caché sous la vertu, et la cruauté que peut dissimuler une quête de pureté. Loin d’idéaliser la spiritualité d’Alissa, il en montre les effets dévastateurs sur elle-même et sur Jérôme. À travers cette histoire d’un amour empêché par une rigueur morale extrême, Gide illustre la tension permanente entre les aspirations de l’âme et les élans du cœur. Le roman, d’une grande délicatesse stylistique, est une méditation subtile sur le refus du bonheur, sur l’orgueil spirituel, et sur l’ambiguïté du sacrifice volontaire.
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Biographie :
André Gide, né le 22 novembre 1869 à Paris et mort dans la même ville le 19 février 1951, est une figure majeure de la littérature française du XXe siècle. Auteur prolifique, il s’est illustré par la diversité de son œuvre, mêlant roman, journal intime, théâtre, essais et critique. Son style sobre et rigoureux, allié à une quête constante de vérité personnelle, a profondément influencé la littérature moderne. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1947.
Issu d’un milieu protestant strict et bourgeois, Gide grandit dans une atmosphère à la fois intellectuelle et austère. Son éducation rigide le pousse très tôt à s’interroger sur les fondements de la morale, de la religion et du désir. Dès son adolescence, il se tourne vers l’écriture pour exprimer ses doutes et sa sensibilité singulière.
Son premier ouvrage, Les Cahiers d’André Walter (1891), déjà fortement autobiographique, annonce une œuvre marquée par l’introspection et l’analyse psychologique. C’est en 1891 également qu’il rédige le Traité du Narcisse, bref essai en prose poétique publié en 1893 dans La Revue blanche, puis en recueil. Dans ce texte d’inspiration symboliste, Gide s’empare du mythe de Narcisse non pour en faire une figure de vanité, mais pour en explorer la dimension mystique, esthétique et existentielle. Il y développe l’idée que la beauté, en tant que reflet de soi, est un chemin vers la connaissance intérieure. Le Traité du Narcisse témoigne de l’influence de Stéphane Mallarmé et d’un certain néo-platonisme alors en vogue dans les cercles littéraires décadents.
Au fil des décennies, Gide approfondit sa réflexion morale et sociale à travers des romans emblématiques comme L’Immoraliste (1902), La Porte étroite (1909), Les Caves du Vatican (1914) ou encore Les Faux-Monnayeurs (1925), considéré comme le premier roman français pleinement « moderne » par sa construction et sa mise en abyme. Son Journal, tenu pendant plus de 60 ans, est aussi un document littéraire et psychologique majeur du XXe siècle.
André Gide n’a jamais hésité à prendre des positions audacieuses, que ce soit contre le colonialisme (Voyage au Congo, Retour du Tchad) ou face aux dérives du communisme soviétique, qu’il dénonce dans Retour de l’URSS (1936). Ces prises de position, comme son homosexualité assumée, ont fait de lui une figure souvent contestée, mais toujours respectée pour son exigence intellectuelle et morale.
Conclusion :
André Gide fut un écrivain de la vérité personnelle, de la liberté intérieure et du refus du conformisme. Son Traité du Narcisse, bien que court, résume déjà cette quête d’identité et de dépassement de soi qui irrigue toute son œuvre. Par son exigence morale, sa lucidité critique et sa modernité formelle, Gide a ouvert des voies nouvelles à la littérature française et européenne. Il demeure aujourd’hui un auteur fondamental pour qui cherche à comprendre les tensions entre l’individu et la société, entre l’éthique et le désir, entre la beauté et la vérité.
Serge

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